Vie quotidienne


1935.

Une fois passée la Grande Liesse du Jour de Pâques et des retrouvailles, il fallait bien trouver à s’amuser avec les moyens du bord.

La première occupation consistait, avec l’accord de Grand-mère, à fureter dans le tiroir du bas de l’armoire de notre chambre.

Grand-mère rassemblait là, à notre intention, tous les échantillons de tissu qu’elle recevait avec les catalogues des Grands Magasins Parisiens : Galeries Lafayette, Bon Marché et aussi sans doute la Samaritaine.

Nous allions à la découverte parmi les tissus d’ameublement de tous coloris et surtout les imprimés de tissus d’été.

Nous avions toujours dans le coin de notre valise un petit bout de baigneur en celluloïd, grand comme le doigt, et nous nous occupions sérieusement de refaire sa garde-robe au grand complet, grâce à toutes ces richesses.

Au milieu de nos "occupations", Grand-mère nous appelait parfois en disant simplement : "Je vais chez Darnault, qui vient avec moi ?"

Et nous lâchions tout sans effort pour la suivre.

Une fois passée la porte de la pâtisserie, nous voyions apparaître Madame Darnault par le fond du magasin :

"Et comment ça va-t-y mon p’tit mignon ? Que c’est-y donc qu’y vous faut ?"

Et Grand-mère de répondre : "Donnez-leur donc cent grammes de cailloux !..."

Ah ! Ces cailloux de chez Darnault ! Heureusement que ça fondait dans la bouche, parce que sans cela nous aurions l’estomac empierré pour l’éternité, tant nous en avons avalés.

Il y avait aussi les petits oeufs à la liqueur, que Grand-mère achetait par kilos entiers.

Il y avait aussi les feuilletés carrés, luisants comme s’ils avaient été astiqués à tour de bras, et que l’on mangeait avec de la gelée de groseille.

Humm !! Je m’en lèche encore les babines rien que d’y penser.

En sortant de chez Darnault, on descendait un peu plus bas dans la rue jusqu’au Bazar Populaire. Là, c’était le Palais de la Découverte, les comptoirs archi-connus semblaient toujours aussi nouveaux ; nous fouinions partout pendant que Grand-mère discutait avec le propriétaire le prix de son achat qu’elle trouvait toujours trop élevé.

Nous arrivions pourtant facilement à la convaincre que notre dernier nourrisson avait une jambe écrasée et qu’il lui fallait à tout prix un remplaçant.

Quand nous étions particulièrement convaincantes, nous revenions avec des jumeaux ou bien avec un biberon pour faire boire nos poupées plus grandes ou tout autre bricole dont nous découvrions le besoin urgent.

Mais en y réfléchissant de plus près, il s’agissait toujours de petits jouets, du moins dans mon souvenir. Nous nous contentions de peu.

Je me suis tant amusée avec des poupons que je logeais dans le creux de ma main, dont je faisais le mobilier avec des allumettes et les robes avec un échantillon de tissu, que j’ai toujours eu du mal à comprendre comment mes filles n’ont pas hérité de mes goûts en cela. Elles n’ont jamais été intéressées par ce genre de poupée et Dieu sait pourtant combien elles en ont eu.

Une autre attraction des vacances à Vierzon, c’était le marché aux biquions.

Pauvres petits que, derrière nos fenêtres, nous voyions passer dès le matin, arrivant de la gare, attachés les quatre pattes ensemble et bêlant lamentablement.

Solange et moi, coeurs sensibles, nous avons versé bien des larmes sur leur sort, car nous savions bien que si on les emmenait de la sorte, c’était pour les vendre et les manger à l’exemple de l’agneau pascal dont c’était la pleine saison.

Plus tard dans la matinée, nous allions au marché qui retentissait de tous ces bêlements, pour choisir un bon fromage de chèvre.

Françoise aimait beaucoup ce fromage et Grand-mère ne manquait jamais d’en faire servir pendant nos séjours.

Il y avait aussi d’autres certitudes établies : ainsi Solange était censée raffoler de la peau de poulet rôti. Aussi, sous prétexte de la combler, c’était à qui lui refilerait la peau de son morceau. Je pense qu’on a fini par l’en dégoûter à tout jamais.

Pour en revenir aux petits biquets, nous ne pouvions nous empêcher d’être frappées d’un sentiment d’injustice envers ces malheureuses petites bêtes.

Nous voulions bien admettre qu’on les vende pour être mangés, mais pourquoi les faire souffrir à l’avance en leur attachant les pattes ?

Pourquoi ne pas les conduire simplement attachés par une corde autour du cou ?

Cela aurait été tellement plus humain !...

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