Le voyage

Ce matin, Grand Branle-Bas dans la Maison Griffaton. Il est 7 heures et déjà la maison s’agite, les petits déjeûners sont avalés et papa sonne le rappel pour le départ. Que se passe-t-il donc ? Les vacances seraient-elles commencées ? Pourtant BELLEFONTAINE ne libère habituellement ses élèves que le Samedi Saint à midi, après l’Office de la Semaine Sainte !... Mais voilà : le train n’attend pas ; il part à 8 heures de la gare St Laud, et, chaque année, la tribu des demoiselles Griffaton obtient une permission spéciale pour manquer cette cérémonie.

Nous voici donc en route pour la gare, dans le froid du matin, avec nos petites valises à la main : mais personne n’a cure de la température : nous sommes si contentes de partir pour VIERZON et d’y retrouver Grand-mère, tante Bellèle et Annie... et aussi bien sûr, les Oeufs de Pâques que les cloches apporteront demain. En arrivant sur le quai, un petit souci pointe dans un coin du cerveau, inquiétude oubliée dans l’agitation du départ... Le voyage, le train, la fumée... en général cela se termine toujours de la même façon... on ouvre la portière et Hop !!!... tout passe par dessus bord ! Eh oui, chez nous la rançon du plaisir de voyager, c’est ce fichu mal de train qui nous saisit sans pitié dès que les aiguillages des rails sont un peu trop nombreux et secouent les wagons à qui mieux mieux. Chaque année on part avec un nouveau courage en se disant que ce ne sera pas la même chose !...

Mais le train arrive avec sa grosse cheminée pleine de fumée et la vapeur qui sort des roues au ras du quai. On se dépêche de trouver un wagon de 3ème classe et tout le monde se case. Comme il sent mauvais ce compartiment ! Il sent le tabac froid mêlé à d’autres odeurs humaines. Le petit déjeûner fait un tour complet dans le fond de l’estomac. Sur un coup de sifflet du chef de gare, le train démarre doucement dans une succession de tchou-tchou-tchou...

Tout d’abord nous restons tranquilles, assises dans le compartiment où personne n’est venu compléter le nombre règlementaire : nous sommes déjà six. Nous essayons de nous réchauffer en regardant défiler le paysage à peine visible dans la brume qui se lève des prairies. Peu à peu les radiateurs commencent à répandre une douce chaleur qui nous délie la langue. Papa nous montre parfois quelque chose au loin, mais le temps du repérage... et on ne voit plus rien. Instruites par l’expérience... nous affirmons quand même notre admiration.

Voici SAUMUR et sa petite gare à arcades. J’espère toujours voir surgir dans un coin un cavalier à cheval !... Le temps d’entendre le murmure indistinct du chef de gare dans son Haut parleur et le train repart pour ST PIERRE DES CORPS. L’Aventure nous attend là. Il faut changer de train ou tout au moins lui laisser le temps de changer de voie et d’accrocher des wagons supplémentaires avant de repartir sur Vierzon.

La moitié du trajet est effectuée et tout s’est bien passé, cette fois nous sommes sûres d’avoir fait la nique au mal de train.

« Je reviens, nous dit papa, je vais au Buffet de la gare, ne bougez pas, même si le train se déplace, ce sont des manoeuvres. » Et bien sûr, le train démarre avant que papa ne soit revenu. On s’affole, il va le manquer, ce n’est pas une manoeuvre, c’est le vrai départ, on est déjà dans la campagne... Il n’y a qu’à entendre le bruit de la locomotive, c’est bien le rythme du voyage !... Mon Dieu que va-t-il devenir ? On se penche à la portière pour voir s’il ne va pas accourir au pas de course... Et puis soudain le coup de frein grinçant stoppe le train et nos inquiétudes en même temps. Il recule maintenant et vient se ranger sur une autre voie, le long d’un quai où papa nous attend tout tranquillement en se moquant de notre peur.

En route pour VIERZON. Cette fois nous restons dans le couloir et, avec Solange, nous nous amusons à regarder les fils téléphoniques qui semblent courir le long de la voie. Un poteau passe, les fils descendent en pente douce, vont-ils descendre jusqu’à toucher terre ? Oh que c’est près !... Mais non, toujours ils arrivent à remonter pour s’attaquer au poteau suivant. Mais papa veille ! Il voit dans nos yeux déjà brouillés le résultat de ce jeu qui nous fait regarder trop près de nous.

« Regarde au loin, là-bas, au fond de l’horizon, tu vois le moulin là ? et le corbeau dans le champ ?... » Mais il aura beau faire, il faudra bien ouvrir la fenêtre et décharger le trop plein. On reste là un moment, la figure à l’air, recevant des escarbilles qui vous piquent le visage, et ce goût de bile dans la bouche.

Le trajet s’éternise avec toutes les petites stations. Enfin un espoir se dessine avec les noms de Mennetou, Thénioux... la fin approche. Cette fois la voie unique se partage en multiples bras qui s’élargissent, et nous arrivons à VIERZON où, sur le quai, tante Bellèle et Annie agitent leurs bras pour nous signaler leur présence.

Au moment de la descente, nous toucherons le fond de l’amertume et de la honte, avec une petite phrase prononcée par Annie :

« Nous avons reconnu votre wagon grâce à la traînée qui le décorait !!! »

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